Il y avait un jardin « Il y avait un jardin qu’on
Il y avait un jardin
« Il y avait un jardin qu’on appelait la terre… »
Toujours, et encore plus hélas, d’actualité…
© fw
Il y avait un jardin
« Il y avait un jardin qu’on appelait la terre… »
Toujours, et encore plus hélas, d’actualité…
© fw
PISTOU
- Organise-toi un peu, au lieu de sentir ton savon ! s’écria Guillemette au bord de l’exaspération. Au bord de la piscine aussi, dont le haut-parleur venait d’annoncer la fermeture de midi. Mais rien ne semblait pouvoir arracher son petit frère au ravissement dans lequel son nez était plongé depuis quelques minutes.
Bastien devait encore se rhabiller tout seul dans le vestiaire des garçons, ce que ses cinq ans le rendaient en principe capable de faire, mais Guillemette savait qu’elle aurait sans doute à patienter un bon quart d’heure devant la caissière agacée, avant de le voir sortir débraillé, incapable de se rappeler où il avait oublié sa serviette.
Quand il finit effectivement par sortir, il avait toujours son savon à la main et la suivit comme un automate. La côte qui montait au village était bien longue, ils firent halte sur un vieux banc, très apprécié des promeneurs habituels.
- Fais-moi sentir aussi, dit Guillemette, au moins je saurai pourquoi tu traînes !
La douceur du petit galet mauve nichée au creux de sa main, elle ferma les yeux et dilata ses narines.
Une petite forme légère commença à se préciser dans sa tête. Des fraises ! Délicieuses et bien cachées sous leurs feuilles, qui récompensaient si bien les papilles quand on les avait dénichées.
Tout près, des senteurs de basilic venaient délicatement compléter la dégustation.
Un petit tour vers la droite et Guillemette aperçut une bêche, aussi grande qu’elle, plantée au milieu d’une touffe de fine dentelle d’un vert très cru... des fanes de carottes !
Un peu plus loin, une rangée de choux, gros comme la tête de Bastien, avec leurs feuilles sombres, frisées, comme plastifiées.
Et là, juste à leur gauche, presqu’écrasé par une courge bien dodue, un petit bouquet de pensées violettes, au parfum doux et timide.
Impossible de s’y tromper, Guillemette était dans le potager de Grand-mère, où elle aimait tant jouer, s’allonger, ramper, toucher, sentir, rêver, à l’heure de la sieste où les adultes assoupis ne faisaient plus attention à elle. Elle savourait ainsi les quelques jours qu’elle passait chez Grand-mère avec son frère, chaque fin d’été, avant l’inconnu de la rentrée, où il faudrait sauter à pieds joints.
- Est-ce que toi aussi tu adores la couleur des aubergines ? l’interrompit Bastien d’une petite voix sucrée, pleine d’espoir.
- Oui, je l’adore, c’est comme le vernis à ongles de Maman...
Les deux enfants se turent, plongés dans le beau jardin où ils s’étaient retrouvés en pensée, comme pour un rendez-vous secret que le petit savon leur aurait donné sans crier gare.
Puis, main dans la main, ils reprirent leur route. L’herbe des bords était désormais peuplée de tuteurs envahis par les haricots, les tomates, accompagnés de pruniers, de rhubarbe, de groseilliers. Le village était encore loin, mais les deux petits papillons avaient tout le temps de virevolter sur la joie de cette trace magique.
© Maria Ardouin
La mort du jardinier
(Ces fleurs qui nous font mal)
Sous l’arceau du jardin potager
L’Univers s’éclate en sanglots
C’est la rosée du premier matin du monde
Sur les aubergines, les courges et les concombres
S’en allant tailler ses aumônières
Le jardinier écrase innocemment
La cigale qui revenait du bout de la nuit
La bouche pleine des feuilles du cerisier
Un vortex de champs magnétiques
Lui remonte de la moelle épinière
Jusqu’au cortex
Et dans le corps calleux de la voie lactée
les éphémères éclairent la mort de leurs morts
L’escargot s’en va chagriner ses dimanches
Le dos chargé de naines blanches
Il s’en va faire du ménage dans ses méninges
Celui qui rendait hommage aux roses sidérales
Est tombé de sa nébuleuse cérébrale
Il est sourd aux commérages de l’oseille, de la ciboulette et de la chicorée
Il a des grenouillettes sous la langue
Il bine, il bêche et il pioche
Sur ses mots comme sur la terre
Crénom de crénom de Dieu
Il est étendu comme le ciel
Entre les serfouettes, les griffes-fleurs et les tire-racines
Sous le pont de Varole
Ne coulera plus de parole
Son sang s’est coagulé dans la circonvolution de Broca
Sa tête est médusée, son ventre dur comme une pierre
Mouches! Asticots et mantes religieuses:
Laissez-le tranquille… Il dort.
© Julien Hoquet
Ombre.
En sortir ou y rester; au tableau ou à la paupière; d’un doute ou d’un sourire; chinoise ou portée.
Qu’importe pourvu qu’elle ne soit pas brune.
(Sur Les temps d’étang #3)
La nature hésite encore
Entre couleur et noir et blanc
L'étang, lui, a choisi ses tons
Un bleu intense et chatoyant
Pour soutenir la profondeur
Du vert des sapins bien serrés
Les autres arbres du décor
N'ont pas fini de sommeiller
Je les attends, c'est bientôt l'heure
D'enluminer le paysage.
© Maria Ardouin
(Sur Les temps d’étang #3)
L'étang fait de l’œil
Aux nuages
Les conifères
Font de l'ombre
Aux arbres chenus
© Julien Hoquet
(Sur La petite maison blanche)
Moi ici à l'ombre j'ai froid et je frissonne!
Marcher à l'ombre, c'est vite dit! Vous avez déjà vu une maison qui marche?
Et ceux qui passent n'ont même pas l'ombre d'un regard pour moi!
Mais le regard peut-il avoir une ombre?
Voilà qui risque de relancer le débat! La direction, la couleur, l'angle thêta etc.
J'ai envie de leur chanter à tous ces indifférents: "Je serai l'ombre de ta main, l'ombre de ton chien, ne me quitte pas!"
Un peu de soleil dans l'eau froide sans ombre portée ce serait si bon!
© Ariane Adam
(Sur Ombres de lumières colorées)
Les mots ont-ils une ombre? Curieuse question!
Pourtant, on dit "sans l'ombre d'un doute". Doute est un concept abstrait donc, physiquement, il ne peut pas avoir d'ombre. Pourtant ça choque personne ! On pourrait tout aussi bien dire "sans aucun doute". Et bien non, il y a une nuance entre les deux expressions. Autant il n'y a pas l'ombre d'un doute sur la signification de la première; autant pour la seconde, je doute. C'est comme si "aucun" laissait plus de place à l'interprétation qu'il en a l'air.
Et d'ailleurs, si on admet que "doute" a une ombre, il n'y a pas de raison que les autres mots ne soient pas aussi dotés d'une ombre. Par exemple "table". Comment interpréter "se mettre à table"? Vous me direz "ça dépend du contexte!" Et bien justement, il faut que le contexte nous éclaire sur la signification. On a donc bien une source lumineuse (et souvent plusieurs) qui rend possible la lecture de l'ombre ou si l'on préfère sa sémantique. J'admets que parfois c'est pas simple: il en faut de l'éclairage pour savoir ce qui se cache dans l'ombre du mot ombre!
Maintenant qu'il ne fait plus l'ombre d'un doute que les mots ont une ombre, qu'en est-il de leur couleur? J'ai tendance à penser que seuls les poètes changent les couleurs de l'ombre des mots.
© Lyvgok