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©horus 23
26 mars 2019

PISTOU - Organise-toi un peu, au lieu de sentir

 PISTOU

   - Organise-toi un peu, au lieu de sentir ton savon ! s’écria Guillemette au bord de l’exaspération. Au bord de la piscine aussi, dont le haut-parleur venait d’annoncer la fermeture de midi. Mais rien ne semblait pouvoir arracher son petit frère au ravissement dans lequel son nez était plongé depuis quelques minutes.

   Bastien devait encore se rhabiller tout seul dans le vestiaire des garçons, ce que ses cinq ans le rendaient en principe capable de faire, mais Guillemette savait qu’elle aurait sans doute à patienter un bon quart d’heure devant la caissière agacée, avant de le voir sortir débraillé, incapable de se rappeler où il avait oublié sa serviette.

   Quand il finit effectivement par sortir, il avait toujours son savon à la main et la suivit comme un automate. La côte qui montait au village était bien longue, ils firent halte sur un vieux banc, très apprécié des promeneurs habituels.

   - Fais-moi sentir aussi, dit Guillemette, au moins je saurai pourquoi tu traînes !

La douceur du petit galet mauve nichée au creux de sa main, elle ferma les yeux et dilata ses narines.

   Une petite forme légère commença à se préciser dans sa tête. Des fraises ! Délicieuses et bien cachées sous leurs feuilles, qui récompensaient si bien les papilles quand on les avait dénichées.

   Tout près, des senteurs de basilic venaient délicatement compléter la dégustation.

Un petit tour vers la droite et Guillemette aperçut une bêche, aussi grande qu’elle, plantée au milieu d’une touffe de fine dentelle d’un vert très cru... des fanes de carottes !

   Un peu plus loin, une rangée de choux, gros comme la tête de Bastien, avec leurs feuilles sombres, frisées, comme plastifiées.

   Et là, juste à leur gauche, presqu’écrasé par une courge bien dodue, un petit bouquet de pensées violettes, au parfum doux et timide.

   Impossible de s’y tromper, Guillemette était dans le potager de Grand-mère, où elle aimait tant jouer, s’allonger, ramper, toucher, sentir, rêver, à l’heure de la sieste où les adultes assoupis ne faisaient plus attention à elle. Elle savourait ainsi les quelques jours qu’elle passait chez Grand-mère avec son frère, chaque fin d’été, avant l’inconnu de la rentrée, où il faudrait sauter à pieds joints.

   - Est-ce que toi aussi tu adores la couleur des aubergines ? l’interrompit Bastien d’une petite voix sucrée, pleine d’espoir.

   - Oui, je l’adore, c’est comme le vernis à ongles de Maman...

Les deux enfants se turent, plongés dans le beau jardin où ils s’étaient retrouvés en pensée, comme pour un rendez-vous secret que le petit savon leur aurait donné sans crier gare.

   Puis, main dans la main, ils reprirent leur route. L’herbe des bords était désormais peuplée de tuteurs envahis par les haricots, les tomates, accompagnés de pruniers, de rhubarbe, de groseilliers. Le village était encore loin, mais les deux petits papillons avaient tout le temps de virevolter sur la joie de cette trace magique.

 

© Maria Ardouin

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Commentaires
M
Magnifique machaon!
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L
Aussi poétique qu'un vol de papillon !<br /> <br /> <br /> <br /> https://youtu.be/LbmDFFJkPkM
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